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L'homme au costume noir, Stephen King.

Tout est fatal, Stephen King, Le Livre de Poche, 2005, 8,60€.

En 1994, The New Yorker publie The Man in the Black Suit, une nouvelle fantastique qui ne nous laisse pas en reste. Ce récit, que l'auteur considère simplement comme un "conte folklorique assez banal" remporte le prix World Fantasy de la meilleure nouvelle en 1995 ainsi que le prestigieux O. Henry Award en 1996. Il trouve sa place dans le recueil Tout est fatal, paru en 2002 chez Albin Michel, puis en 2005, en format Le livre de Poche. Enfin, il sera repris par les Éditions Magnard dans un recueil destiné aux élèves du secondaire intitulé Cette impression qui n'a de nom qu'en français et trois autres nouvelles (2008).

Stephen King évolue entre les genres du fantastique et de l'horreur avec brio. Auteur prolifique, on ne compte plus ses succès. Ses ouvrages nous portent vers une avalanche d'émotions, et nous font réfléchir au monde qui nous entoure, pour nous affranchir de nos phobies. Outre ses fabuleuses intrigues, et les frissons qui nous parcourent à la lecture, une des grandes forces de ses récits reste la construction de personnages riches et profondément humains. Nous noterons notamment le contraste saisissant entre les protagonistes adultes, et les enfants, ces derniers tenant un rôle inégalable dans sa bibliographie.

Dans la nouvelle "Crapules de bas-étage en manteau jaune", extraite du recueil Cœurs perdus en Atlantide par exemple, Bobby, Sully-John et Carol enfants incarnent l'innocence, un trait de caractère primordial, qui va malheureusement vite être mis en péril. Quant à Trisha, ou La petite fille qui aimait Tom Gordon, c'est une force de la nature. Perdue et désœuvrée, elle fait pourtant preuve d'un courage et d'une bravoure exemplaires. De la même façon, Dreamcatcher met en avant quatre hommes, qui dans l'enfance ont sauvé un étrange petit garçon, qu'ils appellent M. Gray... Les enfants sont donc incontestablement symboles de pureté et de force... jusqu'à ce que la vie ne les rattrape.


Qu'en est-il de Gary, petit garçon de 9 ans, et jeune héros de cette histoire?


Le récit à la première personne du singulier nous incite, presque malgré nous, à y croire. Stephen nous présente cette nouvelle comme un témoignage. Gary a bien vécu, et il est en maison de retraite lorsqu'il décide de se libérer de ce souvenir, étrangement encore trop vivace. "Je n'ai jamais raconté à personne ce qui est arrivé, à l'endroit appelé la Fourche, là où la rivière se sépare en deux. Et je ne le raconterai jamais à personne de vive voix. J'ai cependant décidé de l'écrire dans ce cahier que je laisserai sur ma table de nuit.". Respectant les codes du récit fantastique, il inscrit ainsi son personnage dans la "réalité".

En 1914, Gary a 9 ans et vit à la campagne avec ses parents. Alors qu'il va pêcher, il rencontre un homme très étrange. Effrayé par son apparence, et par ses petites démonstrations de force, l'enfant parvient à échapper de justesse à la menace. "Je ne pouvais détacher mes yeux de l'homme qui se tenait sur le haut de la rive et qui me dévisageait, l'homme qui venait de parcourir, dans le Maine occidental, près de cinquante kilomètres de forêts sans chemins ni sentiers en costume noir impeccable et chaussures de ville au cuir brillant." L'inexplicable arrive doucement mais sûrement, insinuant le doute en nos esprits troublés.


Un message clair et saisissant.


Mais qui est cet étrange personnage? Que fait-il dans un coin aussi reculé? Que veut-il à notre si gentil "petit pêcheur"? Autant de questions auxquelles Stephen répond avec plaisir. Lisez ces quelques quarante pages! C'est un bon moment d'évasion! Vous découvrirez ainsi cet être déconcertant, vous tremblerez pour cet enfant courageux qui ne se laisse pas démonter malgré sa peur saisissante. Vous serez même, à certains égards, très surpris! "Il m'avait déjà toutefois clairement fait comprendre qu'il pensait que je devais venir - retourner là-bas, et affronter ma peur, comme les gens diraient sans doute aujourd'hui. C'est très bien pour toutes les choses effrayantes imaginaires, mais au bout de deux heures, ma conviction n'avait guère changé: j'étais toujours persuadé que l'homme en costume noir avait été bien réel."

A la lecture, nous comprenons mieux cette fameuse mémoire sélective évoquée par le narrateur, preuve flagrante de la manière dont ce souvenir l'aura hanté "Ce qui m'intéresse n'est pas d'être cru, mais d'être libre. Et j'ai découvert qu'écrire pouvait donner ça, la liberté.". Comme toujours, les histoires du King ne sont pas ordinaires. Il fait encore une fois l'apologie de l'écriture. Elle apparaît ici comme un exutoire, une véritable libération. Et sous ses mots, nous entendons ce message: "On peut passer toute sa vie sans jamais rencontré un oiseau-moqueur, tu sais, mais est-ce que cela signifie que les oiseaux-moqueurs n'existent pas?". C'est une invitation. Laissez les mots prendre vie autour de vous, et ne doutez plus!


Gary est un petit garçon comme un autre, qui se trouve au mauvais endroit au mauvais moment. L'heureux dénouement évoque un espoir un peu fou, que l'on a nous-même du mal à accepter... Mais les enfants sont la clarté et l'innocence, et peut-être que cette lumière aura suffi à mettre à mal la noirceur qui avait essayé de l'atteindre. Il aura survécu au pire. Voilà un point dont nous ne pouvons douter.

Stephen King s'est inspiré d'une nouvelle de Nathaniel Hawthorne, intitulée "Young Goodman Brown" [Le recueil en langue française s'intitule Contes étranges.]. Et puisqu'il le considère comme l'un des dix meilleurs récits de la littérature américaine, il sera ma prochaine lecture, déjà dans ma PAL.

Je conclurai en citant l'auteur une dernière fois, qui explique l'écriture de cette nouvelle ainsi "Parfois, les histoires réclament à grands cris d'être écrites, de tels grands cris qu'on est obligé de s'y mettre rien que pour les faire taire.".


Lorène Mannarini

Parce que Lire, c'est aimer, rêver et s'envoler.










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